Put the blame on... celui qui demande "du gros rouge qui tache" à ses ministres
"Rééditer le hold-up de 2007. Ratiboiser le Front national en séduisant ses électeurs, c'est le rêve qu'aura poursuivi Nicolas Sarkozy tout au long de sa campagne de premier tour. Malgré les pressions venues de son propre camp et quelques atermoiements, il est resté fidèle à la ligne édictée par son conseiller issu de la droite maurassienne, Patrick Buisson.
Dernière tergiversation, mardi 10 avril. Nicolas Sarkozy réunit ses troupes à l'Elysée. Il doute, estime que la stratégie consistant à parler constamment d'immigration a montré ses limites : il ne progresse plus dans les sondages. "On ne propose rien, on ne fait que cogner. C'est une erreur", analyse un membre de l'équipe de campagne. M. Buisson tord le nez, lui qui estime au contraire que Nicolas Sarkozy a trop laissé d'air à Marine Le Pen ; Henri Guaino, le conseiller néogaulliste, se sent, lui, soulagé. Même discours le lendemain, mercredi, avec le comité de campagne. Il est décidé d'élargir le registre, pour préparer le second tour. Le virage s'engage le lendemain, lors d'un déplacement en région parisienne avec des sportifs. Le ton est plus posé au meeting de la Concorde, le 15 avril, une semaine pile avant le premier tour.
Mais le naturel reprend vite le dessus, d'autant que le candidat improvise de plus en plus lors de ses meetings quotidiens. Mercredi 18, à Arras, le lendemain dans le Val-de-Marne, et vendredi 20 pour son dernier meeting à Nice, terre droitière sensible aux thèmes du FN, M. Sarkozy s'en prend encore à l'immigration. Il se positionne contre le halal dans les cantines scolaires, les créneaux réservés aux femmes dans les piscines, et le refus de certaines musulmanes de se laisser soigner par des hommes dans les hôpitaux. Et de marteler : "On ne peut pas accueillir qui que ce soit sur notre territoire sans avoir appris le français." Jusqu'au bout, M. Sarkozy aura fait du Buisson.
"DU GROS ROUGE QUI TACHE"
Le 10 février, le président donne le ton avec un entretien au Figaro Magazine axé sur les valeurs. Il propose le recours au référendum, prélude à la tirade contre les corps intermédiaires, les syndicats et les élites. Viendront ensuite la chasse aux "assistés", puis la mise en avant du thème de l'immigration.
Dès son arrivée au ministère de l'intérieur, en 2002, le ministre de Jacques Chirac entend incarner la droite sécuritaire, multipliant les lois répressives et celles sur l'immigration. Le Sarkozy du début des années 2000, qui aimait surprendre en prônant l'abrogation de la double peine pour les étrangers, expulsés après avoir effectué leur peine de prison, et en évoquant le droit de vote des immigrés aux élections locales, a rapidement laissé la place à celui qui promettait, en 2005, de nettoyer les cités au Kärcher et de débarrasser les quartiers des "racailles".
Lors de la préparation de la campagne de 2007, Patrick Buisson, déjà, le convainc de mener une campagne droitière pour siphonner l'électorat FN. Le 22 avril 2006, devant de nouveaux adhérents de l'UMP, le futur candidat reprend la logorrhée frontiste : "Si certains n'aiment pas la France, qu'ils la quittent." Pendant sa campagne, il vire à droite toute, à la surprise générale, en proposant de créer un ministère de l'immigration et de l'identité nationale. Et cela paie : au premier tour de 2007, il s'envole à 31 % des suffrages, tandis que Jean-Marie Le Pen recule à 10,4 %. Ce soir-là, Nicolas Sarkozy sait qu'il a remporté la présidentielle contre Ségolène Royal.
Dès lors, le nouveau locataire de l'Elysée croit qu'il a tué définitivement le FN, mais donne des piqûres de rappel, au risque de ranimer le parti d'extrême droite. A l'automne 2009, le ministre de l'immigration, Eric Besson, lance un grand débat sur l'identité nationale. Nicolas Sarkozy sait ce qu'il fait, qui demande "du gros rouge qui tache" à ses ministres. L'exercice tourne au fiasco : peu de monde dans les préfectures où sont organisés les débats et des dérapages xénophobes dans les propos des participants. La gauche hurle, la droite est en proie au malaise.
Les anciens premiers ministres Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin ne cachent pas leurs réserves. Pire : Nicolas Sarkozy déçoit une partie de ses électeurs, qui retournent dans le giron du FN, préférant l'original à la copie. Les dérives bling-bling des débuts du quinquennat, l'image de président des riches et les piètres résultats en matière de sécurité et de pouvoir d'achat provoquent l'éloignement de l'électorat populaire séduit en 2007. L'ascension de Marine Le Pen, qui donne une nouvelle image au FN, entrave la stratégie du chef de l'Etat. Pourtant, il refuse d'en démordre : c'est à sa droite, croit-il, qu'il trouvera son salut.
La contre-offensive débute au lendemain du fiasco des régionales de mars 2010, qui ont vu une percée du FN. Une fusillade au coeur de Grenoble et une émeute impliquant des Roms dans le Cher, en juillet 2010, lui permettent de déclencher une grande offensive : c'est le fameux discours de Grenoble sur la déchéance de la nationalité des tueurs de policiers et la stigmatisation des Roms. La gauche condamne mais part en vacances, les ministres du centre et d'ouverture, qui se savent condamnés par le prochain remaniement, Hervé Morin et Bernard Kouchner, ne mouftent pas. Ce sont les Eglises et les Européens qui forcent M. Sarkozy à reculer au sortir de l'été. Lors du remaniement de novembre 2010, qui reconduit François Fillon, le ministère de l'identité nationale est supprimé.
Mais Nicolas Sarkozy n'a pas renoncé. Dès l'hiver 2011, la rédactrice du projet de 2007, Emmanuelle Mignon, qui a quitté entre-temps l'Elysée, affirme que rien n'est réglé sur l'immigration, que les portes ont été laissées grandes ouvertes. Sans surprise, Claude Guéant, nommé ministre de l'intérieur, lance une offensive sur l'immigration, d'autant que les révolutions arabes suscitent la peur d'un afflux de réfugiés, croit déceler la droite. Au même moment, un premier sondage donne Nicolas Sarkozy éliminé du premier tour de la présidentielle par Marine Le Pen. Les élections cantonales de mars 2011 confirment la nette progression du FN.
M. Sarkozy décide d'attaquer sur les thèmes régaliens. Un partage des rôles s'opère : Claude Guéant joue au méchant, pendant que le chef de l'Etat s'applique à se poser en sauveur de l'euro et en président du G20. La politique de M. Guéant culmine à l'automne 2011 avec une circulaire restreignant les permis de travail pour les étudiants étrangers. Il doit reculer, sous la pression des centristes, en particulier de Jean-Pierre Raffarin.
La campagne refait de Nicolas Sarkozy un ministre de l'intérieur qui, après un moment d'hésitation, court derrière Marine Le Pen dans sa dénonciation de la viande halal non estampillée. Le quinquennat, inauguré sur le thème de "l'immigration choisie", s'achève sur la proposition de diviser par deux l'immigration légale. Lors de son grand meeting de Villepinte, le 11 mars, le candidat-président menace de rétablir unilatéralement des contrôles aux frontières françaises. Autant d'idées approuvées par les Français, selon les sondages, et applaudies dans les salles UMP. Et qui permettent à Nicolas Sarkozy de distancer Marine Le Pen dans les intentions de vote et de rattraper François Hollande.
A la veille du premier tour, nul, dans l'entourage du président, ne s'aventurait à prédire le vote des Français. Chacun préparait sa défense en cas de fiasco. Pour Patrick Buisson, si le siphonnage du FN ne marche pas dimanche, c'est parce que le candidat aura recentré sa campagne trop tôt, donnant une bouffée d'air à la candidate frontiste".
Arnaud Leparmentier et Vanessa Schneider in LeMonde daté du 21/04/2012
Lovely, lovely, lovely Rita!...
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