sexta-feira, 1 de março de 2013

Moi aussi, j'aimais Stéphane Hessel!



"J’aimais Stéphane Hessel. J’aimais l’élégance de ce grand homme, costume trois pièces impeccable, danseur diabolique, sourire d’enfant nonagénaire, cabotinant avec plaisir sur les nombreuses scènes où il était invité et acceptait toujours de parler. J’aimais la gauche qu’incarnait Stéphane Hessel, forgée par la guerre, trempée dans les principes du Conseil national de la Résistance et l’esprit fondateur de l’ONU. Une gauche morale, oui, oui, oui, et oui : morale, qui s’assumait puissamment comme telle, structurée par les principes et la soif d’action, les idées et la volonté de changer le monde. De la ligne esquissée par cette gauche singulière, radicale et conviviale, Stéphane Hessel ne dérogea jamais : aux côtés des sans-papiers, du Réseau Education sans frontières ou du mouvement des profs «désobéisseurs», dans ses dialogues sur l’écologie et même rue de Solférino, au Parti socialiste, où il s’était récemment prêté avec gourmandise au jeu des courants et des motions. Pour tout cela, beaucoup qui furent de gauche avant de passer avec hargne et bagages dans la boutique idéologique d’en face le caricaturèrent en apôtre de la «bien-pensance» et du «politiquement correct», ces mots idiots dégainés sous le nez de ceux qui restent fidèles à eux-mêmes. Le succès foudroyant de l’opuscule Indignez-vous ! aggrava les choses, Hessel se trouvant doublement accusé d’être le gourou cucul d’une génération de jeunes crétins et le critique antisioniste, voire pire, de l’Etat d’Israël. La sympathique légèreté de la brochure, intéressante comme phénomène d’édition car vendue à plusieurs millions d’exemplaires à travers le monde, ne méritait évidemment ni l’enthousiasme ni l’ire qu’elle déclencha. Hessel le martela par la suite : l’indignation n’est que la condition de possibilité d’un engagement politique structuré, ou un feu de paille inutile ; Israël, création du droit international, se grandirait à le respecter en accordant aux Palestiniens un Etat dans les frontières qu’exige l’ONU.
J’aimais Stéphane Hessel parce qu’il considérait que le trait d’union de toutes ses vies était l’amour. L’amour qu’il reçut de sa mère, à la vie, au destin cinématographique. L’amour de la vie et du combat, de la résistance quand tout semble perdu, de la puissance qui réside dans chaque individu, du partage cosmopolite des beautés du monde. L’amour, passion solaire contre toutes les passions tristes, qui permet de persévérer dans l’être et d’avancer, de s’augmenter, de vivre et de voir plus largement. Hessel, ces derniers mois, en parlait simplement. Comme s’il fallait se concentrer sur l’essentiel. Etrange magie suscitée par ces propos quand, prononcés en public, ils esquissaient un chemin de vie cohérent où passion personnelle et civique, sphère publique et intime, souci de soi et des autres, semblaient s’articuler simplement. J’aimais Stéphane Hessel parce qu’il incarnait l’idée de la vie bonne, théorique sous la plume des philosophes, éblouissante pour ceux qui l’ont rencontré ou vu intervenir un peu partout en France et dans le monde. Une vie belle, une vie longue, une vie poétique, en compagnie de son cher Apollinaire qu’il citait sans cesse : «J’ai cueilli ce brin de bruyère / L’automne est morte souviens-t’en / Nous ne nous verrons plus sur terre / Odeur du temps brin de bruyère / Et souviens-toi que je t’attends.»"

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